samedi 21 septembre 2013

Et d'un troisième...


Tradition oblige, voici un cadeau pour ce troisième blogniversaire. Il a fallu cette fois que je me casse un peu la tête car, il faut le dire, la dernière année a été pauvre en écriture. J'ai beaucoup travaillé sur mon manuscrit et très peu sur des nouvelles. Mais j'ai tout de même ceci que je peux vous offrir, il date un peu, mais avec un tout petit peu de travail, j'ai pu l'amener au goût du jour.

La bête

Courir. Courir vite.

Son coeur bat au rythme de ses pas. L'air siffle en entrant dans ses poumons et lui brûle les bronches au passage.

Ne jamais regarder derrière. Il ne faut surtout pas se retourner.

Continuer. Avancer.

Un rugissement, La terre tremble et plus elle approche, plus la vibration s'accentue. Derrière, on gagne du terrain. Il accélère la cadence. Plus vite. Il tente de contrôler sa respiration afin de ne pas s'hyperventiler.

Courir encore. Il ignore où il va et ce qui le poursuit. Ses muscles le font souffrir. Il a les mollets douloureux pour ne pas dire totalement crampés.

À gauche, une falaise escarpée. Parfois, sous ses pas, il entend les petits cailloux tomber, dégringoler, sans atteindre le fond.

À droite, une forêt dense. Des arbres immenses semblent toucher le ciel. Il ne peut espérer y pénétrer : à leurs pieds, des aulnes tressés menacent de lui lacérer les membres.

Poum. Poum. Poum. Son coeur bat si fort qu'il résonne jusque dans ses tempes.

Sa poitrine lui fait mal. Il est exténué. Ses jambes se dérobent. Il perd de la vitesse. Sa vision se brouille. Ses oreilles bourdonnent. Sa sueur coule de partout, elle lui brûle les yeux. Sa volonté le pousse à continuer, cependant son corps refuse d'obéir. Il quitte le chemin à temps, et s'écroule dans le bosquet d'arbustes.

Tout juste avant que sa conscience l'abandonne, la bête passe et l'ignore. Rien ne lui dit qu'elle ne le prendra pas lors de son prochain passage demain à la même heure. Son rugissement s'éloigne. Il se permet d'oublier momentanément de fuir et se détend après de longues heures de course folle.

À son réveil, la tête lui fait drôlement mal. Ses muscles le font encore plus souffrir. Le brouillard n'a pas quitté ses yeux et sa poitrine se soulève difficilement. Il comprend qu'il a vraiment trop poussé la machine. Il doit se reposer et surtout manger. Son estomac lui rappelle, avec ses grondements horribles, qu'il a besoin d'être rempli.

En tournant sa tête, il constate que le bosquet semble contenir des petits fruits rouges qui appellent la salive à sa bouche. Il a si faim qu'il avalerait n'importe quoi. Il tend les bras et en goûte un, deux, trois. Il n'arrive pas à s'arrêter : il se délecte de ces baies savoureuses. Il continue jusqu'à atteindre la sensation de satiété, puis il se rendort.

Cette fois, son sommeil se trouble, il cauchemarde. Il entend la bête rugir et sent le sol trembler sur son passage. Est-ce un rêve? Est-ce la réalité? Il est si confus qu'il ignore si c'est son imagination qui lui joue de mauvais tours.

Des frissons le réveillent. La rosée est tombée et il est mouillé de la tête au pied. Il comprend que plus de 24 heures se sont écoulées depuis qu'il a trouvé refuge dans le bosquet. Des céphalées engourdissent son cerveau et de nouveau son estomac réclame de la nourriture. Il sait qu'il ne peut pas se contenter de baies : il aura besoin de protéines pour continuer son chemin. La bête passera lorsque le soleil sera à son zénith. Son sentier est le seul chemin pour se rendre à a prochaine localité.

En tentant de se relever pour chercher autre chose à manger, ses jambes refusent de lui obéir. Il a épuisé toutes les réserves de son organisme. Il se masse les pieds, et une petite bosse attire son attention. Au centre de celle-ci : une cicatrice rougeâtre. Il doit s'être fait piquer par un moustique. Comme ses yeux sont toujours embrouillés, il n'est pas certain de ce qu'il voit. Pour le moment, d'autres soucis le titillent : il doit se nourrir.

Il se tourne sur le ventre et rampe, tant bien que mal pour atteindre les branches encore garnies de fruits et s'alimenter de ceux-ci. Il a si faim. De nouveau, son estomac jubile. Il se laisse engourdir par l'explosion de saveur que lui offre les petits fruits rouges. Leur goût sucré et acidulé ravit ses papilles gustatives. Lorsqu'il les avale, les baies lui chatouillent l'oesophage. Il savoure longuement le bonheur de manger cette nourriture exquise.

Obnubilé par le désir de consommer ces fruits, il oublie le temps qui passe. Ses rêves deviennent fous et irréalistes, ils se sont substitués à la réalité. Il ne remarque pas que sa vue a été remplacée par des hallucinations loufoques. Seuls les fruits sont visibles : distincts et précis. Ses craintes de la bête s'intensifient, le paralysant au point de ne plus vouloir essayer de fuir. Il souhaite seulement rester à cet endroit.

Il passe tout son temps à rêvasser et à consommer ces sublimes fruits rouges. Ses jambes se rebellent : elles n'ont plus la force de le soulever. Il ignore qu'elles sont constellées de petites bosses rougeâtres. Il ne sent pratiquement plus ses pieds qui sont devenus des lambeaux de chair. Sa vue l'a abandonnée, ses yeux sont scellés par un liquide verdâtre qui s'en écoule. Ses mains sont lacérées par les branches en raison de ses mouvements imprécis. Elles sont lancées maladroitement dans un sens ou dans l'autre pour prendre un fruit.

Le bosquet s'est refermé autour de lui. Continuellement en fleurs, il est plus beau que jamais. Personne n'a jamais vu un arbuste aussi prolifique. Les passagers du train rugissant qui passe en bordure se demandent bien de quoi il se nourrit. Cette pensée effleure leur esprit alors que, dans le ventre de la bête de fer, ils poursuivent leur course folle. Pour signaler sa présence, la locomotive hurle en faisant frémir les feuilles du bosquet sur son passage.

2 commentaires:

  1. Hééé ! Joyeux troisième anniversaire, Insolite !
    Merci pour la nouvelle. J'adore son petit côté glauque. Vais désormais me méfier des bosquets. ;)

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  2. Bonne fête, ô blogue. Longue vie à toi ! Trois ans, c'est la maturité !

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