Tradition oblige, voici un cadeau pour ce troisième blogniversaire. Il a fallu cette fois que je me casse un peu la tête car, il faut le dire, la dernière année a été pauvre en écriture. J'ai beaucoup travaillé sur mon manuscrit et très peu sur des nouvelles. Mais j'ai tout de même ceci que je peux vous offrir, il date un peu, mais avec un tout petit peu de travail, j'ai pu l'amener au goût du jour.
La bête
Courir.
Courir vite.
Son
coeur bat au rythme de ses pas. L'air siffle en entrant dans ses
poumons et lui brûle les bronches au passage.
Ne
jamais regarder derrière. Il ne faut surtout pas se retourner.
Continuer.
Avancer.
Un
rugissement, La terre tremble et plus elle approche, plus la
vibration s'accentue. Derrière, on gagne du terrain. Il accélère
la cadence. Plus vite. Il tente de contrôler sa respiration afin de
ne pas s'hyperventiler.
Courir
encore. Il ignore où il va et ce qui le poursuit. Ses muscles le
font souffrir. Il a les mollets douloureux pour ne pas dire totalement crampés.
À
gauche, une falaise escarpée. Parfois, sous ses pas, il entend les
petits cailloux tomber, dégringoler, sans atteindre le fond.
À
droite, une forêt dense. Des arbres immenses semblent toucher le
ciel. Il ne peut espérer y pénétrer : à leurs pieds, des
aulnes tressés menacent de lui lacérer les membres.
Poum.
Poum. Poum. Son coeur bat si fort qu'il résonne jusque dans ses
tempes.
Sa
poitrine lui fait mal. Il est exténué. Ses jambes se dérobent. Il
perd de la vitesse. Sa vision se brouille. Ses oreilles bourdonnent.
Sa sueur coule de partout, elle lui brûle les yeux. Sa volonté le
pousse à continuer, cependant son corps refuse d'obéir. Il quitte
le chemin à temps, et s'écroule dans le bosquet d'arbustes.
Tout juste avant que sa
conscience l'abandonne, la bête passe et l'ignore. Rien ne
lui dit qu'elle ne le prendra pas lors de son prochain passage demain
à la même heure. Son rugissement s'éloigne. Il se permet d'oublier
momentanément de fuir et se détend après de longues heures de
course folle.
À
son réveil, la tête lui fait drôlement mal. Ses muscles le font
encore plus souffrir. Le brouillard n'a pas quitté ses yeux et sa
poitrine se soulève difficilement. Il comprend qu'il a vraiment trop
poussé la machine. Il doit se reposer et surtout manger. Son estomac
lui rappelle, avec ses grondements horribles, qu'il a besoin d'être
rempli.
En
tournant sa tête, il constate que le bosquet semble contenir des
petits fruits rouges qui appellent la salive à sa bouche. Il a si
faim qu'il avalerait n'importe quoi. Il tend les bras et en goûte
un, deux, trois. Il n'arrive pas à s'arrêter : il se délecte
de ces baies savoureuses. Il continue jusqu'à atteindre la sensation
de satiété, puis il se rendort.
Cette
fois, son sommeil se trouble, il cauchemarde. Il entend la bête
rugir et sent le sol trembler sur son passage. Est-ce un rêve?
Est-ce la réalité? Il est si confus qu'il ignore si c'est son
imagination qui lui joue de mauvais tours.
Des
frissons le réveillent. La rosée est tombée et il est mouillé de
la tête au pied. Il comprend que plus de 24 heures se sont écoulées
depuis qu'il a trouvé refuge dans le bosquet. Des céphalées
engourdissent son cerveau et de nouveau son estomac réclame de la
nourriture. Il sait qu'il ne peut pas se contenter de baies : il
aura besoin de protéines pour continuer son chemin. La bête
passera lorsque le soleil sera à son zénith. Son sentier est le
seul chemin pour se rendre à a prochaine localité.
En
tentant de se relever pour chercher autre chose à manger, ses jambes
refusent de lui obéir. Il a épuisé toutes les réserves de son
organisme. Il se masse les pieds, et une petite bosse attire son
attention. Au centre de celle-ci : une cicatrice rougeâtre. Il
doit s'être fait piquer par un moustique. Comme ses yeux sont
toujours embrouillés, il n'est pas certain de ce qu'il voit. Pour le
moment, d'autres soucis le titillent : il doit se nourrir.
Il se
tourne sur le ventre et rampe, tant bien que mal pour atteindre les
branches encore garnies de fruits et s'alimenter de ceux-ci. Il a si
faim. De nouveau, son estomac jubile. Il se laisse engourdir par
l'explosion de saveur que lui offre les petits fruits rouges. Leur
goût sucré et acidulé ravit ses papilles gustatives. Lorsqu'il les
avale, les baies lui chatouillent l'oesophage. Il savoure longuement
le bonheur de manger cette nourriture exquise.
Obnubilé
par le désir de consommer ces fruits, il oublie le temps qui passe.
Ses rêves deviennent fous et irréalistes, ils se sont substitués à
la réalité. Il ne remarque pas que sa vue a été remplacée par
des hallucinations loufoques. Seuls les fruits sont visibles :
distincts et précis. Ses craintes de la bête s'intensifient, le
paralysant au point de ne plus vouloir essayer de fuir. Il souhaite
seulement rester à cet endroit.
Il
passe tout son temps à rêvasser et à consommer ces sublimes fruits
rouges. Ses jambes se rebellent : elles n'ont plus la force de
le soulever. Il ignore qu'elles sont constellées de petites bosses
rougeâtres. Il ne sent pratiquement plus ses pieds qui sont devenus
des lambeaux de chair. Sa vue l'a abandonnée, ses yeux sont scellés
par un liquide verdâtre qui s'en écoule. Ses mains sont lacérées
par les branches en raison de ses mouvements imprécis. Elles sont
lancées maladroitement dans un sens ou dans l'autre pour prendre un
fruit.
Le
bosquet s'est refermé autour de lui. Continuellement en fleurs, il
est plus beau que jamais. Personne n'a jamais vu un arbuste aussi
prolifique. Les passagers du train rugissant qui passe en bordure se
demandent bien de quoi il se nourrit. Cette pensée effleure leur
esprit alors que, dans le ventre de la bête de fer, ils poursuivent
leur course folle. Pour signaler sa présence, la locomotive hurle en
faisant frémir les feuilles du bosquet sur son passage.
Hééé ! Joyeux troisième anniversaire, Insolite !
RépondreSupprimerMerci pour la nouvelle. J'adore son petit côté glauque. Vais désormais me méfier des bosquets. ;)
Bonne fête, ô blogue. Longue vie à toi ! Trois ans, c'est la maturité !
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